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Chaplin : une vie.
19 mai 2014

Chaplin La réponse de Chaplin au critique du New York Times

L'Humanité 19/10/2002
Chaplin La réponse de Chaplin au critique du New York Times
 
" En écrivant que le pari du Dictateur "était magnifiquement gagné", le critique du New York Times exprime son opinion. Pourtant, lui et moi voulons dire des choses différentes. Il regarde par un bout du télescope et moi par l'autre.
 
Le Dictateur tel qu'il est à l'écran ressemble assez à ce que je voulais en faire. J'avais une histoire à raconter et quelque chose que je tenais à dire. Je l'ai dit. J'ai pris du plaisir à le dire. Je crois que ce film est drôle quand il est censé être drôle. Et j'ai pris plaisir à entendre les rires des spectateurs de cette histoire plus encore que je ne pourrais l'exprimer. Je suis à la fois reconnaissant et fier que le film soit aimé de nombreux critiques et si populaire auprès du public. Pour moi, le pari est donc "bien gagné".
 
Il y a naturellement des critiques. C'était inévitable. Deux personnes peuvent-elles tomber d'accord sur un point de vue aussi personnel que celui du Dictateur ? Jamais, de toute ma vie, je n'ai satisfait tout un chacun. D'ailleurs, je ne connais rien qui m'ait jamais complètement satisfait. J'apprécie la critique à peu près autant que l'éloge. Tout dépend de la critique et de l'éloge, de l'intelligence, de la perception et de la compréhension qui en sont les ingrédients. L'un et l'autre peuvent être ennuyeux, l'un et l'autre peuvent être réconfortants.
 
Il y a toujours une sorte d'éloge ou une sorte de critique contre laquelle on ne peut s'insurger, ou dont on ne peut discuter. "C'est drôle" ou "ce n'est pas drôle". Qui peut le savoir, à part vous ? Même les rires peuvent vous tromper. "C'est beau" ou "ce n'est pas beau". Nous sommes en démocratie, nous avons le droit d'exprimer des opinions différentes et chacun de nous a sacrément raison. Encore heureux !
 
Les questions soulevées par la presse sont plus ou moins en rapport avec ce que je viens de dire. Premièrement, la tragédie que Hitler représente pour l'Europe peut-elle être drôle ? Deuxièmement, ce film relève-t-il de la propagande ? Troisièmement, comment justifier la fin ?
 
Pour ce qui est du comique de Hitler, je dirai seulement que si on ne peut rire de Hitler de temps en temps, alors c'est que nous sommes plus mal en point que nous ne le croyons. Il est sain de rire, de rire des choses les plus sinistres de la vie, et même de rire de la mort. Charlot soldat était drôle. C'était un film sur des hommes qui partent à la guerre. La première idée de la Ruée vers l'or m'était venue de la tragédie du Donner. Le rire est un tonique, un soulagement, un répit qui permet d'atténuer la douleur. Le rire est sain, c'est la chose la plus saine du monde et c'est bon pour la santé.
 
Deuxièmement, la propagande. Le Dictateur n'est pas un film de propagande. C'est l'histoire du petit barbier juif et du dirigeant auquel, par hasard, il ressemble. C'est l'histoire du petit bonhomme que j'ai sans cesse raconté toute ma vie. Mais cette histoire a un point de vue, tout aussi valable que celui qu'avaient, en leur temps, la Case de l'Oncle Tom ou Olivier Twist. Compassion est-il un meilleur terme que propagande ? Ou haine ? Je n'ai ni pris de gants, ni choisi des mots polis, ni tenté de transiger avec quelque chose que la plupart d'entre nous éprouvent profondément.
 
Troisièmement, la fin. Pour moi, c'est une fin logique pour cette histoire. Pour moi, c'est le discours que le barbier aurait fait, devait faire même. On a dit qu'il sort de son personnage. Et après ? Le film fait deux heures et sept minutes. S'il compte deux heures et trois minutes de comédie, ne peut-on pas m'excuser de conclure ma comédie par une note qui reflète, honnêtement et avec réalisme, le monde où nous vivons et ne peut-on pas m'excuser d'en appeler à un monde meilleur ? Il faut dire qu'il s'adresse aux soldats, les victimes mêmes d'une dictature.
 
C'était difficile à faire. Il aurait été bien plus simple de faire disparaître le barbier et Hannah sur une ligne d'horizon, en route vers la terre promise sur fond de soleil couchant. Mais il n'y a pas de terre promise pour les opprimés du monde entier. Il n'existe aucun lieu au-delà de l'horizon où ils peuvent trouver refuge. Il leur faut tenir debout. Comme à nous. "
 
Charlie Chaplin Answers his Critics, The New York Times, 20 octobre 1940. Archives du Museum of Modern Art, New York.
 
Reproduit avec l'aimable autorisation des Éditions Jean-Michel Place qui ont publié en 1999 ce texte dans le livre (dont nous ne saurions trop recommander la lecture à l'occasion de cette sortie) de Christian Delage, Chaplin la grande histoire.

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