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Chaplin : une vie.
21 mai 2014

Charlot et la fabulation chaplinesque I

charlot

Charlot et la « fabulation chaplinesque » (Jean Mitry)

I Charlot et le cinéma

Chaplin compose avec le cinéma. Il met en œuvre toutes les ressources, toutes les disponibilités de l’image animée mais il se révèle beaucoup moins grâce à elles qu’à travers elles. Son art est dans la création d’un univers qui lui est propre, qui tient du mimodrame, du ballet et de la danse. Mitry évoque « L’opinion publique » qu’il considère comme le premier film authentiquement psychologique, la première étude de mœurs dans laquelle les nuances, la subtilité des sentiments, l’ambiguïté des caractères avaient été exprimées et ressenties d’une façon spécifiquement cinématographique. « L’opinion publique » apportait au cinéma la signification des états psychologiques, des pensées, des sous entendus et autres retours sur soi-même par la seule mise en valeur des détails, objets ou comportements particuliers des personnages. L’ellipse, la métonymie, l’allusion faisaient pour la première fois leur apparition dans un film dramatique. Quand Marie rend visite à Jean, dans son atelier, et qu’il lui offre le thé, une serviette malencontreusement dépliée et que l’on découvre pleine de trous laisse deviner sa situation.

Charlot, c’est le cinéma fait homme, le cinéma ayant accaparé, introduit dans les normes de son langage des formes d’expression qui lui demeuraient étrangères. Si, par exemple, on ne considère que le mime, qui joua un si grand rôle dans les films de Charlot puisque l’acteur ne s’exprima que par le geste, on doit convenir qu’il n’y a aucun point de comparaison possible entre le mime proprement dit et celui qu’il nous propose. Chez Charlot, au contraire de l’art du mime, le geste ne répond jamais à quelque chose de prémédité. Le geste de Charlot est immédiat, il laisse deviner ce que l’attitude exprime de pensée, de vie intérieure, et non pas ce qu’elle pourrait signifier abstraitement dans un instant d’elle-même qui serait repris et stéréotypé. LE geste de Charlot est absolument concret, inséré dans le temps et dans l’espace du drame, fonction de ce temps et de cet espace et point du tout plaqué arbitrairement sur eux. Quant à la danse chaplinesque, elle n’est pas soumise à un rythme préétabli dont elle ne serait que la figure visible, l’expression plastique. Elle crée son propre rythme et n’est commandée que par l’expression psychologique qui se trouve alors spontanément transformée, traduite en termes chorégraphiques. Les films de Charlot n’existent qu’en fonction des moyens et des capacités filmiques qu’ils exploitent au plus haut degré en assimilant à leur profit, dans et selon leurs conditions formelles, des formes d’expression qu’on aurait pu croire irréductibles au cinéma.

II Charlot : le personnage et le mythe

Parce que Charlot, vagabond sentimental, poète illuminé naïf et tendre symbolise l’un des aspects les plus tragiques de la vie, parce son oeuvre empreinte d’une émotion qui côtoie sans cesse le rire et les larmes éveille une ironie attendrie, on a comparé Charlot à Dickens. Elie Faure l’a comparé à Shakespeare et il est vrai que Chaplin rejoint le grand tragique Elizabéthain. Sur le plan de l’art comique, la comparaison avec Molière s’impose. Alceste, comme Charlot, se dresse contre les compromissions et les conventions sociales. Mais les caractères de Charlot sont anthologiques a contrario de ceux de Molière. Charlot est un mythe mais il est d’abord un  individu, un être vivant et, comme tel, il évolue, il vieillit. Le mythe, au contraire, est indépendant de toute relation biographique. Il est intemporel, universel. C’est un concept, ou un ensemble de concepts fixés, cristallisés : une idée incarnée. Mais il arrive qu’un caractère singulier fasse découvrir à partir de lui-même tout un ensemble de concepts qui viennent fondre sur lui et se modeler à sa ressemblance. Tel est le cas pour Don Quichotte, tel est le cas pour  charlot. Le costume de Charlot personnifie la misère en habit noir, l’aristocrate déchu aux prises avec la pauvreté. La canne symbolise la prétention à la distinction, la moustache guillerette est un singe de vanité… Dès le début le caractère de Charlot est posé, il s’affirme et les autres sont des fantoches. Mabel est le symbole de ses désirs sexuels ; le rival costaud et déluré est le symbole de l’adversaire ou de l’adversité ; le flic, symbole non point de la justice mais de la loi et qui règle le ballet. Le personnage de Charlot est une position de refus de soumission à tout ce qui s’oppose à lui, à tout ce qui s’oppose à lui, à tout ce qui n’est pas conforme à l’idée qu’il se fait du monde et des choses. Mais c’est aussi un besoin inné d’affirmation de soi-même. Or, physiquement, Charlot est un être chétif, malingre ; socialement un déclassé, sinon un vagabond. Comment peut-il s’affirmer ? Il est tout instinct. Il s’affirme en satisfaisant ses penchants, ses désirs sans respect pour autrui. Il ne reconnaît point l’ordre social qui s’opposerait à cette manifestation de soi. Il se comporte comme un enfant pour qui le monde et les autres c’est tout simplement ce qui n’est pas lui. Il découvre les autres comme existant quand ils s’opposent à lui. Pour Charlot, s’affirmer, c’est tout d’abord s’affirmer devant soi. La dignité du « Moi » voilà ce qui compte le plus à ses yeux. Quand il ne peut s’affirmer cela le met en rage, une rage d’enfant qui n’a pas ce qu’il désire. Le premier Charlot est méchant, vaniteux, cruel. Mais il n’y a point chez lui d’intention de méchanceté, ce n’est qu’un réflexe de défense. Il triomphe par la ruse contre son adversaire plus fort. La tarte à la crème, physiquement inoffensive, n’est pas une moindre agression. Si elle fait moins mal que les pavés, elle dégrade, elle abaisse l’homme qui la reçoit en lui faisant perdre sa respectabilité. Charlot ne s’affirme qu’en détruisant ou dégradant le monde extérieur. Charlot n’a nullement l’intention de faire rire. Charlot ne s’étonne que de l’étonnement qu’il provoque. Pour lui, son comportement est normal. Il a le sentiment profond de son innocence et se sent vierge de toute « faute », de toute intention égoïste qui déformerait sa vision. Ses maladresses ne sont donc pas accidentelles comme chez les autres comiques. Elles sont les actes normaux par lesquels il trahit son Moi profond. Ar ses échecs, Charlot a pris conscience des autres, de l’existence des autres. Charlot a découvert le sentiment d’amour qui devient d’autant plus fort que la femme aimée se dérobe ou que des difficultés imprévues surgissent entre elle et lui. Alors il reprend la route pour s’en aller ailleurs, fort d’un espoir sans cesse déçu et sans cesse recommencé. Si Charlot n’a rien perdu de sa candeur et identifie le monde à l’Absolu c’est qu’il a découvert dieu. Il sent la misère du monde et la sienne et ne l’accepte pas. Charlot n’est pas associal, il ne se refuse pas à la collectivité, à quelque participation que ce soit, pourvu que cette collectivité soit libre devant elle-même et témoigne de la solidarité, de la fraternité humaine. Mais il refuse de se soumettre aux impératifs venus de l’extérieur. Charlot ne se décide qu’à condition de pouvoir se rétracter. Son attitude n’est jamais que provisoire. Libre vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis du monde et des choses, il demeure en perpétuelle disponibilité. S’affirmer, pour lui, c’est le contraire de l’égoïsme. C’est se donner au monde et point du tout l’accaparer. Charlot est inadapté par refus et nullement par incapacité. Toujours en quête d’un métier, il s’y montre plein de zèle, en fait trop mais il bute toujours sur quelque chose qui le met en échec et justifie son renvoi. L’isolement de Charlot lui est imposé. Il est exclu de la société qui le refoule comme dangereux pour l’équilibre qu’elle s’est donné. La solitude de Charlot ne refuse pas le commerce des hommes. Il demeure assoiffé d’amour et de fraternité. Mais insoumis aux conventions et aux conditions sociales comme aux conventions et aux conditions sociales comme aux conditions du réel objectif et à ses contingences, il demeure en marge. Charlot est détaché, absent, indifférent à tout ce qui n’est pas lui, à tout ce qui n’est pas son univers, son Moi profond. Il est le solitaire absolu. Il se cherche partout et ne se trouve nulle part. Tout l’attire, rien ne le retient. Refoulé par la société, il souligne cependant les « avantages de la soumission ». Ses malheurs font ressortir la lâcheté des autres. Il les dénonce dans le même temps qu’il en est victime. Charlot refuse de se soumettre au monde en le rejetant derrière l’idée qu’il en attend et qu’il lui impose. Chez lui l’objet est continuellement sujet d’un acte ou d’une pensée. Dans le sentiment d’absolu qu’est le sien la durée ne saurait être évidemment que la permanence de l’instant. Charlot vit dans un monde virtuel qui lui offre chaque fois une échappatoire qui le soustrait à la vengeance du destin ou à la punition promise au révolté. Il n’est jamais engagé dans un événement, pas plus que dans la société. Il agit avec le Temps comme si celui-ci, au lieu d’être une dimension, était un courant duquel on pourrait se soustraire ou un cadre dans lequel on pourrait se déplacer. Il n’a pas de volonté mais seulement des velléités sans cesse renouvelées. Charlot nie la contradiction en agissant dans la contradiction même. On peut dire qu’il donne à toute chose un sens qui est à la fois un contre-sens ; qu’il souligne l’absurde dans l’instant même où il tente d’y échapper. Charlot cependant ne rêve pas. Ce n’est pas un rêve qu’il superpose au réel, c’est son idée, son imagination qu’il projette sur le monde et qui s’identifie pour lui à la réalité objective. Au fond, Charlot est victime de son illusion égocentrique ; de son orgueil inconscient, de ce sentiment sublime mais dangereux d’absolu dont il se croit dépositaire. Charlot se refuse à tout principe d’ordre et de classement qui brimerait tant soit peu sa liberté spirituelle affirmée dans un choix fait aux dépens de ce qui n’est pas lui. Charlot se replie dans un univers fictif, dans son onde intérieur parce que la société est incapable de lui assurer ce qu’il attend d’elle. La société lui montre un visage agressif. Elle est à l’opposé des principes moraux qu’elle a pris pour base et qui sont ceux sur lesquels Charlot se fonde. Contre ceux qui ne savent manifester leur existence que par le verbe avoir Charlot rappelle qu’exister se conjugue au verbe être. Embarrassé par son corps, victime des réalités sociales et des réalités physiques, Charlot se sent cependant supérieur à tout ce qui l’écrase. Par sa gaucherie même il condamne l’absurdité des choses qui le rendent ridicule et rêve d’un monde soustrait à la pesanteur. Charlot est mû par un complexe de supériorité et un complexe d’infériorité qui est la conséquence du premier. Charlot a conscience de sa faiblesse, de son infériorité physique, de sa misère et de sa détresse mais il n’est pas A-social car il essaye d’imiter les médiocres qui tiennent le haut du  pavé. Charlot se replie dans un désir de puissance exacerbé d’où la hargne vengeresse des premiers âges, d’où cette timidité, cette inhibition devant la femme qu’il aime : il voudrait tant faire pour elle qu’il ne peut plus rien faire ou maladroitement. Dans presque toutes les scènes où Charlot fait la cour à Edna il se cure les ongles avec le bout de sa canne ou avec tout ce qui lui tombe sous la main. C’est le signe même du repliement sur soi. Quand les rêves de Charlot se matérialisent dans le réel ou dans l’imaginaire, ils s’identifient à l’idéal petit bourgeois : « une chaumière et un cœur ». Dès lors il caricature cet idéal et le ridiculise. Quand Charlot est marié c’est avec une femme impossible ou une affreuse mégère. Il ne peut que fuir. Mais parfois le film se termine sur un mariage heureux (La Ruée vers l’or) mais ce bonheur est en dehors du film et ne peut être que provisoire puisque Charlot est seul dans le film suivant. Charlot souffre également du complexe de féminité. Il fait la cour à Edna déguisée en homme (Charlot fait du ciné), il prend pour lui les clins d’yeux et les avances que l’énorme barbu fait à Edna (Charlot fait une cure), il interprète des personnages féminins : Madame Charlot, Charlot grande coquette et Mam’zelle Charlot dans lequel ses mimes et ses attitudes sont la stylisation de la féminité même. Dans tous les films antérieurs à 1920, il trouve une sauvegarde dans une certaine féminité. C’est une féminité d’ordre strictement psychique qui est comme l’aveu de ses faiblesses, de son besoin de protection.  Il se résorbe dans cette faiblesse. Comme l’enfant dans le ventre de sa mère. Il oublie tout, reçoit les caresses, les baisers de la belle et, grâce à cette infériorité même, obtient un triomphe définitif sur son adversaire déconfit. Mais Charlot n’a pas étouffé totalement sa volonté de puissance. Refoulés, ses débordements agressifs n’en persistent pas moins. Un coup de pied vengeur donné au papa de Edna, parvenu arrogant et présomptueux, termine Charlot et le masque de fer. Charlot a quelque pitié pour celle qu’il aime ou pour les gens qui lui sont sympathiques, son dédain pour ceux qu’il méprise est impitoyable. Charlot est constitué de tendances opposées : résignation, bonté rayonnante d’une part ou volonté d’action ou domination affective sur le monde d’autre part. Ces deux tendances vont s’affirmer sous les dehors des deux personnages antagonistes : charlot et l’Anti-Charlot. Vers 1927, Chaplin voulut tourner un Charlot-Christ dans lequel il aurait mit l’accent sur sa virilité, cela aurait été un christ dictateur. Il voulait aussi réaliser un Napoléon dans lequel celui-ci ne mourait pas à Sainte-Hélène : Napoléon, devenu pacifiste, parvient à s’enfuir et à rentrer secrètement en France. Pour imposer la paix au monde, il prépare un coup d’Etat mais la nouvelle de sa mort arrive de Sainte Hélène. Tout le monde croit que Napoléon est mort et il ne peut plus agir. Alors il meurt de chagrin. Ses dernières paroles devaient être : «  c’est la nouvelle de ma mort qui m’a tué !... » Chaplin opta pour les Lumières de la ville qui est tout au contraire l’accomplissement du « vrai » Charlot puisqu’il se sacrifie et sacrifie son amour pour le bonheur de sa belle. Chaplin refoule l’Anti-Charlot en le matérialisant dans « Le Dictateur » et « Monsieur  Verdoux ». Charlot dans la société, c’est un reproche vivant. Par sa seule existence, il la rend coupable et, s’il offre son martyre aux regards de tous, elle le rejette et le refoule comme on refoule un remords. Dans le Dictateur, Charlot le pur est aux prises avec Charlot l’agressif qui, sous les traits de Hitler-Hynkel, mobilise toutes les velléités méprisables, tous les désirs de domination basse dont Charlot s’est dépris. L’Anti-Charlot annule Hitler en se l’appropriant avant d’être annulé à son tour par Charlot l’idéaliste. Hynkel est la catharsis de Charlot. Il a une justification ontologique non point par rapport à Hitler mais par rapport à Charlot. Charlot détourné sur Hynkel notre croyance à Hitler. Avec Verdoux, on voit que Charlot est par essence l’inadapté social alors que Verdoux est suradapté. Les rapports de Charlot avec la société réapparaissent tous chargés de signes. Charlot a revêtu le simulacre de son contraire. Au sens précis du mot, Verdoux n’est qu’un avatar de Charlot. Verdoux, comme Charlot l’idéaliste, est l’un des aboutissements du Charlot d’autrefois. Verdoux est le simple retournement, l’envers de Charlot. Il est le reliquat d’un Charlot « sublimé ». Il n’est l’Anti-Charlot que dans la mesure où il « matérialise » les tendances destructrices que Charlot portait en lui. La société, qui refoulait Charlot comme subversif, condmane Verdoux qui a osé élever devant elle son affreuse caricature. La société est sans défense contre Charlot. Elle ne peut que l’exclure ou feindre de l’ignorer. Mais elle peut s’offrir le luxe de conduire Verdoux à l’échafaud… Verdoux venge Charlot. Verdoux, millionnaire élégant et polygame, trompe les femmes, les subjugue, les assassine, échappe à la police et vit aux dépens de la société, là où Charlot était victime de la société et des flics, et des femmes. Charlot n’a de pitié réelle que  pour l’aimée mais il s’apitoie moins sur l’objet de son amour que sur son amour, sur sa générosité. Non par égoïsme mais par égocentrisme. Charlot, tout en se sentant supérieur à ce qui l’écrase, est affecté d’un perpétuel sentiment de culpabilité. Il se sent coupable de rébellion, de non participation sociale. Verdoux, au contraire, quoique criminel, a un sentiment absolu de non culpabilité. Charlot s’est évanoui à la fin du dictateur. Il s’est transfiguré dans le Verbe. Le discours vaut moins par ce qu’il dit que parce qu’il laisse entendre.

Limelight coiffe le cycle chaplinesque de tout le regard que son créateur porte sur lui par le truchement de Calvero. Le sacrifice de Charlot, esquissé dans Le Cirque, affirmé dans les Lumières de la ville, s’accomplit dans celui de Calvero qui lui donne sa pleine et entière signification : il faut que Calvero meure pour que Terry vive et accomplisse son œuvre. Charlot se découvre ici dans Calvero qui lui-même découvre Chaplin. Et dans Calvero il y a « Calvaire ». Ce n’est pas en vain que l’action se situe à Londres avant 1914 dans les quartiers populeux où Chaplin a vécu alors qu’il débutait au Music-Hall. Ce n’est pas en vain que la situation de Calvero est à l’image de celle de son père qui mourut alcoolique, désespéré de ne plus avoir de succès en scène. Ce n’est pas en vain que dans la chambre de Calvero on découvre, accrochée au mur, la photo célèbre de Abee représentant Chaplin de profil et que publièrent tous les magazines vers 1919. On découvre en évidence sur le guéridon, une photo d’Edna Purviance. Terry évoque Hetty Kelly qui fut son premier amour. Il y a entre Calvero et Terry la même différence d’âge qu’entre Chaplin et sa femme Oona.

III Les procédés du comique chaplinesque

1 – Le ballet et la structure

A la Keystone, lorsque Chaplin fut à même de composer et de diriger ses films, l’influence de Mack Sennett demeura prépondérante. Chaplin, réunissant des éléments jusqu’alors épars dans les comédies de Mack Sennett, les unifiant dans une suite logique et cohérente, organisant leur diversité, réalisa tout d’abord une quantité d’oeuvrettes composées et rythmées avec autant de précision qu’un ballet. Sauf Charlot rival d’amour dans lequel le personnage humain et douloureux se dessine sous la caricature, les films de Chaplin chez Keystone ne furent que des pantomimes sarcastiques et bouffonnes, des croquis ironiques et moqueurs dont les sarcasmes n’étaient encore dirigées contre rien de particulier qui dépasse l’acte parodié. Les gestes y avaient moins de sens que leur rythme et l’intrigue, qui se résorbait dans le comportement agressif de Charlot, demeurait sans perspectives. Les films de Chaplin chez Essanay sont ses premiers chefs-d’œuvre. La valeur humaine des personnages se dessine et la satire apparaît sous le burlesque des situations. A partir des films chez Mutual, il n’y aura plus d’autre principe directeur que la psychologie des personnages dans la logique de l’action. Mais le rythme du ballet ne disparaît pas pour autant. Ainsi, de simple organisation chorégraphique du geste et de l’action qu’il était au début, le ballet devient la traduction dansée et mimée d’un véritable mouvement interne, l’objectivation lyrique d’un état d’âme. Le ballet crée un Temps et un Espace qui lui sont propres. Charlot semble dominer le réel en agissant sur le « temps du geste » et du même coup, il s’isole du monde en s’isolant dans sa propre durée. Hormis la caricature et la stylisation des personnages et du décor, tout se passe dans un univers clos, replié sur lui-même, hors des dimensions du réel. Ce n’est qu’avec Le Kid et à partir de ses grands films que l’univers de Charlot s’identifiera à l’univers réel. L’ensemble du film désormais obéira au « temps du récit » et plus du tout au « temps du ballet ».

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